Ainsi soient-ils : l’avis de La Croix
En dépit de ses qualités artistiques, la série accumule les outrances et oppose systématiquement la générosité des jeunes hommes à la rigidité d’une institution sur le déclin.
Jamais ou presque le soleil ne perce les murs du séminaire des capucins. Dans cette enceinte aux murs gris, la pluie traverse le toit, la statue de la Vierge Marie tombe de son socle et le supérieur se livre à des acrobaties comptables pour maintenir les comptes à flot tandis qu’il s’oppose de manière frontale à la Conférence des évêques de France… Inutile de chercher à situer ce séminaire dans l’Hexagone, il n’existe pas.
Sauf dans l’imagination d’une équipe de scénaristes qui en fait le cadre de la série d’Arte, Ainsi soient-ils. Huit épisodes de cinquante-deux minutes, diffusés chaque jeudi à 20 h 50, à partir de cette semaine et jusqu’au 1er novembre pour, selon le producteur Bruno Nahon, « aborder tous les thèmes de l’Église » à travers le parcours de cinq candidats à la prêtrise. Leur souci, affirment-ils, n’est pas « le réalisme mais le vraisemblable » .
On s’épuiserait donc à dresser l’inventaire des stéréotypes et des outrances, tout comme on n’en finirait pas de s’étonner de la fragilité du choix des séminaristes, tentés par des relations amoureuses, hétéro ou homosexuelles.
UNE AVENTURE SPIRITUELLE HORS NORME
Ce que révèle cette série, réglementée par les exigences d’un tempo rapide qui ne respecte pas la lente maturation du cheminement des séminaristes, et oblige à une accumulation de situations trop exceptionnelles pour être crédibles, c’est sans le doute le regard que porte une grande partie de la société sur une aventure spirituelle hors norme et sur l’institution dans laquelle elle se déroule.
Ses concepteurs protestent de leur intérêt sincère pour leurs personnages et pour la question religieuse vue sous l’angle sociétal. De fait, ils manifestent une certaine sympathie pour Emmanuel, l’ancien archéologue, Yann, le chef scout idéaliste, Guillaume, qui s’est substitué à une mère défaillante pour jouer les chefs de famille, Raphaël, le grand bourgeois opposé à la gouverne d’un père autoritaire, et José, tout juste sorti de prison. De même, la tendresse des scénaristes pour le P. Fromenger, un supérieur de séminaire pétri de sens social et de culture artistique, est évidente.
DES ÊTRES TOURMENTÉS, LIVRÉS À EUX-MÊMES
Sauf que la série, qui n’est en rien un documentaire, se heurte de plein fouet à deux écueils. D’une part, elle oppose la générosité et la fougue d’élans individuels à une institution rigide et sclérosée, présentée – entre autres caricatures – sous les traits autoritaires d’un Mgr Roman, président de la Conférence des évêques (interprété par le regretté Michel Duchaussoy) et d’un pape fragile et désinvolte, grand amateur de thé. D’autre part, les séminaristes apparaissent au fil des épisodes comme des êtres tourmentés, totalement livrés à eux-mêmes dans une église dont les dialogues expriment régulièrement le déclin inéluctable…
Ils ne peuvent guère compter sur le soutien de leurs accompagnateurs, empêtrés dans des intrigues bien peu spirituelles, et nullement sur celui de la communauté chrétienne, désespérément absente. Faut-il donc s’étonner que la série – à laquelle on ne peut dénier par ailleurs une certaine qualité dans la direction artistique – soit dominée de part en part par une tonalité noire ? Est-ce parce que les auteurs ont bénéficié des conseils d’un ancien prêtre ayant quitté le sacerdoce au bout de six mois ? Aussitôt, ils s’en défendent, affirmant qu’un autre prêtre, ordonné il y a cinq ou six ans, leur a également servi de coach… Toujours est-il qu’ils reconnaissent un défaut à cette « première saison » : ne pas avoir su mettre en scène la « vie quotidienne au séminaire ».
Ce sera le cas, promettent-ils, dans la deuxième livraison de huit nouveaux épisodes, déjà commandés par Arte.
Bruno Bouvet (La Croix)