A quel moment décider d’entrer au séminaire ?
Cela dépend de l’histoire et du cheminement de chacun. Mais je pense qu’on n’échappe pas à cette réalité qui est que, pour être prêtre, il faut arrêter de faire autre chose. Je ne sais quel est le meilleur moment pour arrêter, mais je vais vous donner des exemples, ce sera peut-être plus facile.
J’ai un bon ami qui est prêtre, de la même génération que moi. Il était en prépa pour entrer à Polytechnique, il a passé le concours, il a été reçu. Il a passé le concours des Mines, il a également été reçu. Quand il a été reçu, il a dit, « je n’entre pas ». Il aurait pu passer trois ans à Polytechnique, ce n’est pas cela qui aurait grevé son existence. Son raisonnement a été le suivant : « pourquoi prendre la place de quelqu’un à Polytechnique alors que je ne veux pas faire ce métier ? ». Il y a eu là un discernement très clair.
Par contre, j’en connais un autre qui a entrepris et est allé jusqu’au bout d’une licence d’enseignement, car il lui semblait cohérent de mener au bout ce qu’il avait commencé et qu’il n’aurait pas été significatif que quelqu’un qui s’apprêtait à engager sa vie au service de Dieu, commence par le faire en ne prenant pas au sérieux ce qu’il faisait. Il lui a semblé plus juste et plus honnête d’aller jusqu’au bout.
L’élément déterminant dans tout cela, c’est le cheminement personnel. A quel moment est-on suffisamment décidé pour se confronter à la rupture qui est inévitable ? Il faut que ce moment soit discerné de l’intérieur.
J’ajoute qu’un certain nombre d’étudiants aujourd’hui ont précisément du mal à faire des choix. Il arrive même parfois que les ayant faits, ils reviennent dessus. Il y a un investissement intérieur nécessaire pour décider du moment de ces choix.
Je prends un exemple très simple : si je me sens appelé et que je chemine vers la vocation de prêtre, à partir du moment où c’est une conviction intérieure, ce n’est plus la peine que je cherche une jeune fille, ou alors c’est que je ne suis pas déterminé. Car il faut qu’il y ait des éléments structurants dans une vie : à un moment, tout est encore ouvert, et à un autre moment, tout n’est plus ouvert. Je pense que c’est quand même une décision qui s’inscrit dans l’histoire d’une vocation.
Il y a des vocations qui mûrissent très longtemps. Je suis très prudent devant quelqu’un qui vit une expérience forte, un moment de conversion, et qui me dit : « maintenant tout est clair, je quitte tout, Dieu m’appelle ». Peut-être. Mais ce n’est pas parce que Dieu l’appelle à la conversion qu’il l’appelle à tout quitter tout de suite. Il y a une épreuve de la conversion qui se réalise à travers les contraintes d’une vie ordinaire. Quelquefois, il vaut mieux attendre un, deux ou trois ans que ça mûrisse. Pour moi, quand le moment était venu de pouvoir entrer au séminaire, à la fin du lycée, le prêtre qui m’accompagnait, m’a conseillé de ne pas le faire tout de suite, et cela pour deux raisons objectives : d’abord, ça faisait dix ans que je vivais dans ce lycée avec un encadrement disciplinaire très serré. Il n’était pas bon que je passe à une autre forme d’encadrement fort, qui serait la suite du lycée, mais il valait mieux entre les deux, une période de respiration. L’autre raison tenait au fait que j’avais vécu dans un univers essentiellement masculin : jusqu’à ce que je passe mon bac, sur 2 000 élèves dans le lycée, il y avait peut-être 20 filles ! J’ai donc écouté ce conseil et fait une année de Sorbonne.
Réponse du Cardinal André Vingt-Trois à une question en 2008, lors de la fête du Séminaire de Paris